Une équipe de botanistes à laquelle appartiennent des scientifiques du Muséum national d'Histoire naturelle et du CNRS, Pierre-Michel Forget et Odile Poncy, vient de décrire une nouvelle espèce d'arbre endémique du Guyana central
(1) Carapa akuri, suite à une série de missions
(2) réalisées entre 2003 et 2006. Ce précieux travail de terrain, associé à une combinaison d'études phylogénétiques et morphologiques a permis la mise en évidence de cette nouvelle espèce et de souligner sa fragilité. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue
Brittonia (New York Botanical Garden) du mois de décembre.
Arbre Carapa akuri dans la forêt d'Iwokrama.
Les forêts du centre du Guyana ont, par le passé, fait l'objet de nombreuses expéditions et d'inventaires floristiques. Cependant, compte tenu de l'immense richesse en espèces arborescentes de ces forêts, il arrive encore régulièrement de découvrir de nouvelles espèces d'arbres endémiques de ces régions.
L'espèce nouvelle appartient au genre Carapa
(3), connu tant en Afrique qu'en Amérique tropicale et qui comprend plusieurs espèces d'intérêt économique (comme le mahogany). Jusqu'à présent, seules deux espèces étaient reconnues dans les Guyanes
(4): Carapa guianensis et Carapa surinamensis (nommé de manière erronée C. procera). Le carapa est une essence importante sur le plateau des Guyanes et en Amazonie, car ses graines produisent une huile (andiroba) très recherchée pour ses usages.
Lors de travaux de terrain effectués dans les réserves d'Iwokrama, de Mabura Hill et de Pibiri, une espèce morphologiquement très proche de C. surinamensis a été remarquée. Au cours de ces investigations conduites entre 2003 et 2006, plusieurs différences morphologiques avec cette dernière ont ainsi été relevées chez certains arbres, au niveau de la stature de l'arbre, des dimensions de ses organes, de l'écorce, des graines ou des plantules ; ces différences ont amené les scientifiques à penser qu'il s'agissait d'une nouvelle espèce. Le couplage des analyses morphologiques et génétiques a confirmé cette hypothèse, d'autant que cette étude s'est inscrite dans un réexamen taxinomique global du genre effectué parallèlement au Missouri Botanical Garden (USA) par un chercheur camerounais, D. Kenfack.
La nouvelle espèce, dénommée Carapa akuri, est un grand arbre de la canopée pouvant mesurer jusqu'à 35 m de hauteur et 80 à 100 cm de diamètre. Abondante localement, elle semble restreinte au Guyana central, dans une zone reconnue comme étant parmi les plus riches en espèces strictement endémiques. Poussant sur des terrains variés, son périmètre de localisation est pourtant estimé à environ 4 100 km2. Les graines produites par cette espèce constituent une importante source de nourriture pour plusieurs espèces de vertébrés terrestres locaux. L'origine de l'épithète akuri fait d'ailleurs référence au nom employé par les Amérindiens Makushi vivant dans la région pour désigner le rongeur agouti, principal agent de dispersion, et donc de survie, de l'espèce.
L'importance économique locale de C. akuri ne doit pas être négligée, notamment concernant le développement des populations autochtones. Les arbres de cette espèce constituent en effet une source relativement importante de produit forestier ligneux (bois de construction) et non-ligneux (huile connue sous le nom de Andiroba et utilisée dans l'élaboration de cosmétiques, bougies ou comme répulsif). L'identification de C. akuri en tant qu'espèce distincte, peu étendue géographiquement, est donc cruciale afin de la protéger durablement. Etant donné l'actuelle déforestation du Guyana central, le risque de surexploitation de C. akuri et la réduction de son extension devenaient un risque majeur. Une réalité qui devrait conduire à classer cette espèce, selon les critères établis par l'UICN (Cf. Liste Rouge), comme espèce en danger d'extinction (EN).
Fruit, graine et plantule de Carapa akuri en saison des pluies (juin 2003).
Notes:
(1) Le Guyana se situe en Amérique du Sud, au nord de l'équateur, en zone tropicale. Carapa akuri a été découvert sur le fleuve Essequibo, au centre du Guyana.
(2) Ces missions ont été financées par le PPF Ecologie et Développement Durable.
(3) lui-même classé dans la famille des Meliacées
(4) Guyana, Guyane française et Suriname