Sabin Lessard, professeur au Département de mathématiques et de statistique de l'Université de Montréal, travaille sur la génétique des populations en comparant des séquences d'ADN et en mesurant l'étendue de la dispersion d'un profil génétique au sein d'une population.
Représentation d'un brin d'ADN
Les comportements relevant de l'entraide, de l'altruisme ou du dévouement ont toujours posé un problème aux évolutionnistes parce qu'ils vont à l'encontre de la logique de la mécanique de la sélection naturelle. La première réponse à ce paradoxe a été apportée par le biologiste britannique William Hamilton dans les années 60. À l'aide d'un modèle mathématique conçu pour expliquer l'existence de fourmis stériles entièrement vouées à la survie de la colonie, Hamilton a montré que, si l'altruisme repose sur une base génétique, ce profil peut se transmettre dans la mesure où le coût du geste est inférieur à l'avantage qu'en tire le destinataire, ceci étant pondéré par leur degré d'apparentement génétique.
Les travaux de Sabin Lessard ont, quant à eux, montré que les interactions que suppose le modèle de William Hamilton sont plus répandues qu'il n'y parait. Dans un article que publiait le numéro de septembre dernier de la revue Genetics, le mathématicien est parti d'un modèle évolutionniste classique dans lequel la valeur adaptative d'un individu ne dépend que de son génotype, ce qui exclut toute interaction de type altruiste. Il a voulu observer comment se distribuerait un allèle rare introduit dans une telle population et au sein de laquelle la reproduction se ferait partiellement entre frères et soeurs comme cela est fréquent chez les insectes.
Les résultats démontrent en fait que la sélection de parentèle - effet de sélection qu'un individu exerce sur ses apparentés en favorisant éventuellement leur survie - est beaucoup plus complexe que ce que signalait le modèle de William Hamilton, mais qu'elle est à l'oeuvre dans beaucoup plus de cas qu'on ne le pensait. Il explique ainsi que l'interaction est cachée et, pour que l'effet de sélection de parentèle apparaisse, il faut, notamment, que les valeurs sélectives des mâles et des femelles soient différentes. À son avis, ses résultats peuvent être extrapolés à toute espèce où des contraintes d'accouplement créent de la consanguinité susceptible de favoriser l'évolution de l'altruisme. Même dans les populations humaines, où des facteurs biologiques et culturels conduisent à l'évitement de l'inceste, il y a toujours un certain taux de consanguinité.
Dans un article du dictionnaire sur le darwinisme, Sabin Lessard conclut par ailleurs en soulignant que l'explication de l'évolution de l'altruisme chez l'espèce humaine doit aussi inclure l'effet des normes sociales, qui incitent à l'entraide et à la coopération.