Le virus de l'immunodéficience humaine (VIH-1) est responsable du SIDA qui cause un effondrement des défenses immunitaires. De nombreux pathogènes dits opportunistes, normalement éliminés par l'organisme, peuvent alors se développer. L'équipe de Bruno Beaumelle du Centre d'étude d'agents pathogènes et des biotechnologies pour la santé montre que le VIH-1 inhibe la capacité phagocytaire des phagocytes non infectés (ex: macrophages) par l'action de la protéine virale Tat. Fortement sécrétée, Tat entre dans les cellules non infectées et empêche le recrutement au niveau de la zone de phagocytose d'une petite protéine requise pour la capture et la dégradation de pathogènes opportunistes bactériens et parasitaires. Tat serait ainsi impliquée dans le développement de maladies opportunistes lors du SIDA. Cette étude est publiée dans la revue
Nature Communications.
Figure: Des macrophages primaires humains ont été prétraités ou non par Tat avant d'ajouter pour 3 minutes des billes de latex (diamètre 3 µm) recouvertes d'anticorps et visualisation par microscopie électronique à balayage. En absence de Tat, le PIP2 permet le recrutement de Cdc42 au niveau de la coupe phagocytaire et la polymérisation d'actine nécessaire à l'élongation des pseudopodes. La phagocytose est efficace, les macrophages captent totalement les billes (haut). En présence de Tat, Cdc42 n'est plus recrutée à la coupe car Tat se fixe sur le PIP2 à ce niveau. Les pseudopodes sont alors plus courts et la phagocytose des cibles est inhibée car bloquée à un stade précoce, celui de l'élongation des pseudopodes (bas).
© B. Beaumelle
Les maladies opportunistes sont une des causes majeures de morbidité et de mortalité lors du SIDA. Elles sont dues à des pathogènes opportunistes incluant des bactéries comme Mycobacterium avium ou des parasites comme Toxoplasma gondii. Ces pathogènes sont normalement éliminés par les cellules spécialisées que sont les monocytes, neutrophiles ou macrophages qui vont phagocyter ces pathogènes et les dégrader. Mais l'activité phagocytaire de ces phagocytes est très diminuée chez les patients porteurs du VIH-1. La cause de ce défaut était inconnu, mais on savait cependant qu'il n'était pas dû directement à l'infection virale car les phagocytes ne sont pas ou peu infectés par le VIH-1.
L'équipe de Bruno Beaumelle s'intéresse au trafic de la protéine Tat du VIH-1 et a montré que Tat est très efficacement sécrétée par les cellules infectées. Tat peut ensuite entrer dans des cellules non infectées, passer dans le cytosol et se fixer avec une forte affinité sur un phospholipide particulier, le phosphatidylinositol (4,5)bisphosphate (PIP2) qui est localisé sur le feuillet interne de la membrane plasmique.
Le PIP2 permet le recrutement à ce niveau de protéines impliquées dans la phagocytose. Les chercheurs, en collaboration avec C. Mettling (IGH, Montpellier) et S. Besteiro (DIMNP, Montpellier), montrent que Tat bloque le recrutement de la petite GTPase Cdc42 par le PIP2 au niveau de la coupe phagocytaire, zone de contact entre le phagocyte et la cible à capter. Cdc42 joue un rôle clé dans la phagocytose car elle permet la polymérisation d'actine qui sous-tend les pseudopodes, extensions membranaires qui vont entourer la cible à phagocyter. Elle est ainsi requise pour la phagocytose via les récepteurs reconnaissant la plupart des pathogènes, comme M. avium et T. gondii recouvert d'anticorps. Tat inhibe ainsi la phagocytose de ces pathogènes en bloquant l'élongation des pseudopodes. Cette inhibition est observée pour des doses subnanomolaires de Tat, dans la fourchette basse des concentrations présentes dans les sera des patients infectés par le VIH-1.
Ces travaux proposent donc une explication pour la faible activité phagocytaire des phagocytes lors de l'infection par le VIH et expliquent comment l'infection par le VIH-1 peut faciliter le développement de pathogènes opportunistes.