Michel - Mercredi 20 Juin 2012

Comment évaluer la rigidité d'un objet sans le toucher

Deux équipes du Laboratoire de physique de la matière condensée et des nanostructures (CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1) et du Laboratoire de physique des solides (Université Paris-Sud / CNRS), ont réussi à évaluer la rigidité d'un matériau... sans le toucher ! Pour y parvenir, les physiciens ont placé un liquide entre l'objet sondé et le "testeur" puis y ont créé un très faible écoulement à l'échelle nanométrique. Issue des dernières avancées en nano-mécanique, cette technique présente l'avantage d'être non invasive et donc non destructrice. Ces travaux pourraient permettre de nombreuses avancées pour analyser et intervenir sur des objets fins et fragiles comme par exemple une bulle ou une cellule. Ils ont été publiés le 18 juin en ligne sur le site de la revue Physical Review Letters.


Une solution simple pour savoir si un objet est dur ou mou est de le toucher avec un autre élément plus dur que lui. Problème, cette technique peut détruire l'objet, surtout s'il est très fragile comme une bulle ou une cellule vivante. Développer une alternative moins invasive était donc primordial. Pour mesurer la rigidité d'un objet sans le toucher, les physiciens ont d'abord envisagé de souffler dessus délicatement et de voir si ce souffle déformait ou non le matériau. Mais voilà, contrôler précisément un écoulement d'air est difficile à cause des tourbillons pouvant se former dans l'air. D'où l'idée d'utiliser plutôt un "nano-écoulement" de fluide, plus simple à maîtriser.


Gros plan de la sphère en Pyrex et du plan en Pyrex sur lequel est déposé le film élastique nanométrique.
On distingue la petite goutte de liquide qui sert de sonde.
© Richard Villey et Frédéric Restagno

Les chercheurs ont notamment testé leur technique sur un fin film d'élastomère (caoutchouc), épais de quelques centaines de nanomètres (1). Concrètement, ils ont placé ce film sur un support rigide en verre, et ont plongé le tout dans un mélange d'eau et de glycérol. Puis ils ont créé un très faible déplacement de ce liquide, au voisinage du film. Pour générer ce nano-écoulement, les physiciens, et plus particulièrement Samuel Leroy alors en thèse au LPMCN (2), ont dû utiliser un appareil spécial, développé en 2000 dans ce même laboratoire (3). Il comprend notamment une sphère millimétrique en pyrex (un verre spécial), attachée à une tige, laquelle peut être déplacée finement avec un système dit "céramique piézoélectrique". C'est précisément cette bille qui permet de créer le nano-écoulement à la surface d'un objet.

Lorsque la sphère s'approche très près du matériau, à un micromètre (0,000 001 mètre), elle pousse le liquide vers l'objet. Ce nano-écoulement génère une très faible pression à la surface du matériau. Cette force déforme très légèrement le film s'il est souple. En revanche, si l'objet testé est totalement rigide le film reste inchangé.

Les deux équipes ont également découvert que leur procédé permet de mesurer la raideur d'un tapis de bulles, un élément si fragile que le toucher... l'aurait détruit ! C'est la première fois que la possibilité de mesurer les propriétés élastiques d'un objet grâce à un nano-écoulement de fluide est démontrée. Ces premiers travaux ouvrent la voie à une nouvelle méthode d'imagerie à échelle nanométrique pour observer les propriétés élastiques d'objets très minces ou plus massifs.


Vue élargie du dispositif.
© Richard Villey et Frédéric Restagno


Notes:

(1) 1 nm = 0,000 000 001 m.

(2) Laboratoire de physique de la matière condensée et des nanostructures (CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1).

(3) Appareil développé lors de la thèse de Frédéric Restagno, effectuée sous la direction d'Elisabeth Charlaix, actuellement en poste au Laboratoire interdisciplinaire de physique (CNRS / Université Grenoble 1).


Référence:

Hydrodynamic interaction between a spherical particle and an elastic surface: A gentle probe for soft thin films. Samuel Leroy, Audrey Steinberger, Cécile Cottin-Bizonne, Frédéric Restagno, Liliane Léger and Elisabeth Charlaix. Physical Review Letters. 18 juin 2012.
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