Si la lumière est essentielle à la photosynthèse, seule une partie du spectre solaire pénètre dans les eaux marines. Certaines cyanobactéries du genre
Synechococcus sont capables de faire varier leur pigmentation pour capturer le vert ou le bleu, selon la couleur dominante du milieu. Dans un article paru dans
PNAS, des chercheurs de la Station Biologique de Roscoff (CNRS / Sorbonne Université) ont, en collaboration avec deux équipes américaines, caractérisé les gènes impliqués dans ce processus et expliqué pourquoi il était apparu deux fois au cours de l'évolution.
Bien qu'on parle souvent de la mer comme de la "grande bleue", les microorganismes photosynthétiques qui la peuplent ne la perçoivent comme "bleue" que dans les zones du large pauvres en sels nutritifs, les eaux les plus pauvres de l'océan étant même plutôt "violettes". Mais dès que l'eau est plus riche et chargée en particules minérales ou organiques, notamment dans les zones côtières et les estuaires, la couleur dominante du milieu marin est le vert, l'orange ou le rouge. Les organismes du phytoplancton ont donc dû adapter leur pigmentation à la couleur dominante du milieu, afin d'optimiser la capture des photons nécessaires à la photosynthèse.
Les différents types pigmentaires de la cyanobactérie marine Synechococcus.
© L. Garczarek
Les champions toutes catégories de l'adaptation pigmentaire sont les cyanobactéries du genre
Synechococcus, qui sont parmi les deux microorganismes les plus abondants du phytoplancton marin. Certaines souches de ce genre ont une pigmentation fixe et, selon le pigment majeur qu'elles renferment, elles sont spécialisées dans la capture d'une couleur particulière du spectre de la lumière solaire: bleu, vert, orange ou rouge. Mais certaines souches ont adopté une stratégie plus sophistiquée, puisqu'elles sont capables de changer leur contenu en pigments selon la couleur dominante du milieu. Ces véritables "caméléons de la mer" représentent près de 50 % des cellules de
Synechococcus de l'océan. Les gènes impliqués dans leur capacité de changement de couleur ont pu être identifiés et, de façon surprenante, cette capacité semble être apparue deux fois au cours de l'évolution de ce genre.
Cultures des Synechococcus caméléons en lumière bleue (à gauche) et verte (à droite).
© D. Kehoe
Afin de percer le mystère de cette double apparition, des scientifiques de la Station Biologique de Roscoff (CNRS / Sorbonne Université), Théophile Grébert, Laurence Garczarek et Frédéric Partensky, en collaboration avec deux équipes américaines, celle de David Kehoe (Université de l'Indiana à Bloomington) et celle de Wendy Schluchter (Université de la Nouvelle Orléans), ont étudié les gènes responsables de ce changement de couleur, complétant ainsi une série de travaux qu'ils avaient publiés précédemment dans la prestigieuse revue américaine
PNAS,,.
Leur nouvelle étude, publiée le 22 février dans ce même journal, montre que la capacité de changement de couleur est apparue une première fois au cours de l'évolution pour permettre aux souches de
Synechococcus spécialistes du vert de pouvoir aussi capturer le bleu, puis une deuxième fois pour conférer aux spécialistes du bleu la capacité de capturer également le vert. Les deux mécanismes de changement de couleur sont génétiquement très proches mais opposés, le premier étant activé en lumière bleue et le second en lumière verte.
Dans les deux cas, ces processus font intervenir une compétition entre deux enzymes, l'une fixant un pigment capturant le vert et l'autre fixant un pigment capturant le bleu. C'est la couleur dominante du milieu ambiant qui détermine laquelle de ces enzymes est active. Ainsi, ces cyanobactéries "caméléons" semblent bien armées pour faire face aux effets du changement climatique, qui se traduira notamment par des changements de la couleur de l'océan.
Mise à l'eau du C-OPS, un appareil de mesure de la couleur de l'eau.
© L. Garczarek
Références:
Molecular basis of an alternative dual-enzyme system for light color acclimation of marine
Synechococcus cyanobacteria.
Grébert T, Nguyen AA, Pokhrel S, Joseph KL, Chen B, Ratin M, Dufour L, Haney AM, Trinidad J, Karty JA, Garczarek L, Schluchter WM, Kehoe DM & Partensky F (2021).
Proc Natl Acad Sci
U S A. 2021 Feb 22;...
Notes:
1 - Holtrop T, Huisman J, Stomp M, Biersteker L, Aerts J, Grébert T, Partensky F, Garczarek L & van der Woerd HJ (2021) Vibrational modes of water predict spectral niches for photosynthesis in lakes and oceans. Nature Ecology and Evolution 5: 55-66.
2 - Grébert T, Doré H, Partensky F, Farrant GK, Boss E, Picheral M, Guidi L, Pesant S, Scanlan DJ, Wincker P, Acinas SG, Kehoe DM & Garczarek L (2018) Light color acclimation is a key process in the global ocean distribution of Synechococcus cyanobacteria. PNAS 115: E2010-E2019.
3 - Shukla A, Biswas A, Blot N, Partensky F, Karty JA, Hammad LA, Garczarek L, Gutu A, Schluchter WM et Kehoe DM (2012) blue-light regulated bilin lyase-isomerase controls blue-green chromatic acclimation in marine Synechococcus cyanobacteria. PNAS 49: 20136–20141.
4 - Sanfilippo JE, Nguyen AA, Karty JA, Shukla A, Schluchter WM, Garczarek L, Partensky F & Kehoe DM (2016) Self-regulating genomic island encoding tandem regulators confers chromatic acclimation to marine Synechococcus. PNAS 113:6077-6082.
5 - Sanfilippo JE, Nguyen AA, Garczarek L, Karty JA, Strnat JA, Partensky F, Schluchter WM & Kehoe DM (2019) Interplay between differentially expressed enzymes contributes to light color acclimation in marine Synechococcus. PNAS 116: 6457-6462.
Contacts:
Marielle Guichoux
Responsable du service Communication Médiation et Edition Scientifiques - Station Biologique de Roscoff (CNRS / Sorbonne Université)
marielle.guichoux at sb-roscoff.fr
Laurence Garczarek
UMR7144 Adaptation et diversité en milieu marin (AD2M - CNRS/Sorbonne Université))
laurence.garczarek at sb-roscoff.fr
Frédéric Partensky
UMR7144 Adaptation et diversité en milieu marin (AD2M - CNRS/Sorbonne Université))
frederic.partensky at sb-roscoff.fr