Si l'on maîtrise bien la culture des coraux en aquarium, on ne connaît pas pour autant très précisément les processus biologiques - "biominéralisation" - à l'origine de la formation du squelette de ces animaux capables de construire d'importantes formations géologiques. Grâce à la Nanosims, sonde d'analyse géochimique d'éléments traces à l'échelle du nanomètre, une équipe associant le Centre Scientifique de Monaco, le Laboratoire de minéralogie ?et cosmochimie du muséum (INSU-CNRS, MNHN) et le laboratoire d'Interactions et dynamique des environnements de surface (INSU-CNRS, Université Paris Sud) vient de mettre au point une méthode d'étude et de cartographie des éléments traces du squelette corallien, permettant ainsi de mieux caractériser la nature de la zone responsable de la sécrétion de ce squelette. Des travaux publiés récemment dans
Geophysical Research Letters.
Image Nanosims d'un fragment de squelette de Porite, préalablement incubée
dans de l'eau de mer enrichie en 86Sr. Chaque période d'enrichissement est clairement imagé
avec une résolution d'environ 200 nanomètres.
Les récifs coralliens constituent une des plus importantes formations bio construites au monde, couvrant une surface de plus de 280 000 km2. Ces récifs sont d'une importance majeure, non seulement pour les écosystèmes marins et la biodiversité, mais également pour l'économie de nombreux pays (tourisme, pêche).
Par ailleurs, l'analyse de la composition de leurs squelettes est un outil formidable permettant de reconstruire les variations climatiques passées. En effet, les coraux construisent leur squelette à partir de calcium et de bicarbonate prélevés dans l'eau de mer. Les isotopes des éléments chimiques formant le squelette calcaire (Ca,C,O) ainsi que ceux des éléments traces qu'il incorpore, Strontium (Sr), Magnésium (Mg), Uranium (U), Thorium (Th) peuvent être mesurés, permettant la reconstruction des températures passées. En l'absence d'une connaissance suffisante des mécanismes de biominéralisation, cette reconstruction est basée sur des relations empiriquement établies pour chaque espèce (calibration) entre la composition des squelettes coralliens (?18O et rapport Sr/Ca) et celles des eaux dans lesquelles elles vivent.
Par le passé, la plupart des reconstructions climatiques réalisées sur ce principe, supposaient que les processus biologiques, liés au processus de biominéralisation, étaient soit négligeables soit constants et ne perturbaient pas la relation entre les températures et la composition en éléments trace du squelette. Pourtant, des analyses réalisées récemment grâce à des microsondes ioniques de haute précision, notamment la sonde ionique Nanosims 50 (MNHN-INSU), ont révélé des variations importantes dans la composition en éléments traces, montrant que ces effets biologiques n'étaient, au contraire, pas négligeables et devaient être mieux compris.
Détails de la morphologie de surface du squelette de corail.
Pour permettre d'avancer dans la compréhension de ces phénomènes de biominéralisation chez les coraux, des chercheurs du Centre Scientifique de Monaco, spécialisés dans la biologie et la physiologie des coraux, du LMCM de Paris et de l'IDES, spécialisés dans les analyses d'éléments traces et dans les processus de biominéralisation ont mené une étude sur des cultures de coraux.
Le squelette en formation de coraux appartenant au genre Porites (genre le plus souvent utilisé pour les reconstructions paléo-climatiques) a ainsi été incubé plusieurs fois dans de l'eau de mer contenant des concentrations plus importantes en strontium 86 (86Sr), par rapport aux concentrations naturelles de l'eau de mer. La distribution de ce 86Sr dans le squelette a ensuite été cartographiée à l'aide de la sonde ionique nanoSIMS et comparée à l'ultra structure de ce squelette, obtenue par microscopie électronique à balayage. L'avantage de cette nouvelle technique, par rapport à d'autres techniques de marquage du squelette, est qu'elle ne nécessite pas l'ajout de produits chimiques dans l'eau et ne perturbe donc pas les processus de calcification.
Les colonies coralliennes recouvrent leur squelette carbonaté et le secrètent tout à la fois. Selon la plupart des modèles géochimiques, il existerait entre la surface du squelette en formation et la couche cellulaire responsable de sa sécrétion (cellules "calicoblastiques" ) un fluide calcifiant appelé "Fluide Extracellulaire Calcifiant" (ECF). Le résultat majeur de cette étude est de révéler que la zone de squelette marquée au 86Sr n'est pas régulièrement distribuée le long du squelette nouvellement formé, comme on pouvait s'y attendre, mais est au contraire localisé dans des zones qui sembleraient distinctes et isolées.
Ces observations ont d'importantes implications pour la caractérisation du "Fluide Extracellulaire Calcifiant". Selon ces dernières observations au nanoSIMS, cet hypothétique réservoir d'ECF ne formerait pas un compartiment continu le long de la surface du squelette, ses dimensions latérales ne pourraient dépasser la dimension des zones marquées au 86Sr (soit 5-10 µm) et les cellules calicoblastiques seraient à certains endroits au contact direct du squelette.
Ces nouvelles possibilités expérimentales ouvrent de nouvelles perspectives dans la compréhension des processus de biomineralisation de nombreux organismes marins.
Le corail vivant durant une expérience de croissance en milieu enrichi en 86Sr.
Note:
La sonde ionique Nanosims est un spectromètre de masse, instrument national de l'INSU hébergé au Muséum, montrant une extrême sensibilité de mesure alliée à une résolution spatiale jusqu'ici inégalée (en dessous du nanomètre) permettant d'imager la distribution des éléments traces, ici au niveau de l'ultra-structure du squelette des coraux.