Une étude publiée dans la revue
Soil montre qu'il est à présent possible de quantifier la rhizodéposition du carbone par le mil et son stockage dans le sol, sur quelques semaines seulement, grâce à la mesure des abondances naturelles d'isotopes du carbone (δ
13C et F
14C). Certaines lignées de mil permettent en effet d'augmenter le stockage de CO
2 tout en préservant les quantités de carbone plus anciens déjà présentes. Cette sélection variétale pourrait être une stratégie importante de mitigation du CO
2 atmosphérique.
(B) Masse de carbone dérivé des plantes déposé (PDCD en mg C) dans le RAS des quatre lignées de millet perlé.
(C) Quantité de carbone dérivé des plantes par biomasse végétale (en %) produite par les quatre lignées de millet perlé. Des lettres différentes indiquent une différence significative en utilisant une ANOVA et le test post-hoc de Tukey (p
Parmi les stratégies de capture du CO
2 atmosphérique pouvant être mises en oeuvre pour atteindre la neutralité carbone en 2050, le stockage du carbone (C) dans les sols correspond à une piste prometteuse. Stocker le C dans les sols a le double intérêt de pouvoir contribuer à la réduction du CO
2 atmosphérique et augmenter la fertilité des sols (cf.
Initiative 40/00). Dans cette perspective, une collaboration scientifique a entrepris une étude sur le mil, céréale principalement cultivée en Afrique et en Inde. Cette étude a permis de démontrer que l'utilisation des abondances naturelles d'isotopes du carbone (
13C et
14C) permet de quantifier la rhizodéposition (apport de C par les racines au sol) sur quelques semaines de croissance. Concrètement, l'étude a évalué la potentialité à stocker du C dans un sol de lignées de mil ayant des capacités variables à agréger le sol autour de leurs racines.
L'agrégation des particules du sol aux racines fait partie des traits adaptatifs des plantes à certains stress abiotiques. Ce phénomène a été mis en évidence pour la première fois en 1887 sur des plantes grasses en contexte désertique. L'extension de ces travaux à des plantes cultivées a permis de montrer que ce mécanisme d'agrégation rhizosphérique contribuait à la tolérance des plantes au stress hydrique.
Pour évaluer la rhizodéposition du C dans le sol, les chercheurs ont cultivé quatre lignées de mil (
Pennisetum glaucum, plante en C4: δ
13C de -12,8 0/00, F
14C = 1,012) présentant différentes quantités de sol adhérant aux racines, dans un sol de type C3 (matière organique dominée par des restitutions de plantes en C3 avec δ
13C de -22,3 0/00, F
14C =1,045). Cette étude comparative a permis d'obtenir des résultats significatifs après seulement 4 semaines de culture, dévoilant une efficacité de stockage du C variable selon les lignées.
Les quantités de C dans la rhizosphère rapportées à la quantité de sol adhérant aux racines entre les différentes lignées de mil variaient significativement, suggérant ainsi une efficacité différente de rhizodéposition entre ces lignées. Par ailleurs, l'analyse combinée des mesures
13C et
14C a démontré que cette approche permet de mesurer l'apport du C végétal au sol, à un stade précoce de croissance du mil, et d'évaluer la part du C ancien du sol qui a été respirée par les microorganismes du sol lors de l'apport de ce substrat riche en énergie ("
priming effect"). Grâce à un modèle conceptuel intégrant les teneurs en C et les données de mesures des isotopes du carbone (
13C et
14C), il a été possible de quantifier ce "
priming effect" pour toutes les lignées de mil et de montrer qu'il était moins élevé pour les lignées présentant une forte agrégation rhizosphérique. De cette façon les scientifiques ont pu démontrer que les lignées de mil, ayant plus de sol adhérant aux racines, sont capables de stocker plus de C autour des racines tout en préservant le C ancien.
Dans une prochaine étape, l'identification des gènes contrôlant ce caractère (étude en cours) pourrait permettre d'inscrire ces résultats dans des programmes de sélection variétale pour favoriser le stockage de carbone dans le cadre de cultures agricoles, visant à contribuer aux objectifs de neutralité carbone dans un horizon proche.
© Marcel Nahim-Diouf/IRD-UCAD
Laboratoires CNRS impliqués:
- Institut Biosciences et Biotechnologie d'Aix- Marseille (BIAM - CNRS / CEA / Université Aix-Marseille)
- Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE - CNRS / CEA / Universite de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
Référence:
Rhizodeposition efficiency of pearl millet genotypes assessed on a short growing period by carbon isotopes (δ13C and F14C).
Papa Mamadou Sitor Ndour, Christine Hatté, Wafa Achouak, Thierry Heulin, and Laurent Cournac.
Soil. 2022.