Michel - Samedi 13 Mars 2010

Comment agissent certaines toxines accumulées dans les fruits de mer

Des toxines libérées par certaines micro-algues peuvent contaminer les poissons et les fruits de mer, qui deviennent alors toxiques pour l'Homme. Des chercheurs du CNRS (1) et du CEA (2) viennent, pour la première fois, d'identifier le mécanisme d'action de deux de ces toxines. Ils ont montré comment et pourquoi elles induisent des symptômes neurologiques. De ces résultats pourrait notamment découler la mise au point de nouveaux tests pour détecter ces toxines. Leurs travaux sont publiés en ligne cette semaine sur le site de la revue PNAS.

Des biotoxines marines sont naturellement produites par plusieurs espèces d'algues unicellulaires. Elles peuvent s'accumuler dans la chair des poissons et des coquillages: on les appelle alors phycotoxines. Consommer un coquillage contaminé par ces substances peut provoquer chez l'Homme des symptômes diarrhéiques, paralytiques ou neurologiques, entre autres. Les phycotoxines se disséminent rapidement à travers le monde notamment via les ballasts des navires marchands. Dès 1991, des contaminations de coquillages ont été observées au Canada, puis sur les côtes de Norvège, en Espagne et en Tunisie. En 2005, des huîtres contaminées ont été décelées en France, au sein du bassin d'Arcachon, ce qui a conduit les autorités sanitaires à en interdire momentanément la commercialisation.


Une collaboration franco-américaine, associant deux laboratoires mixtes CNRS/Université à Marseille, un laboratoire propre du CNRS et un laboratoire CEA à Gif/Yvette, ainsi qu'un laboratoire américain de l'Université de Californie, a étudié comment deux types de phycotoxines, un spirolide et une gymnodimine, opéraient. Ce sont des neurotoxines "à action rapide": leur injection à des souris de laboratoire provoque des symptômes neurologiques sévères, mortels en quelques minutes. Les chercheurs sont parvenus à caractériser leur cible: ces deux toxines s'attaquent à un récepteur essentiel pour les êtres vivants, le récepteur nicotinique à l'acétylcholine (3) (nRACh), un récepteur-canal situé sur la membrane de la cellule musculaire ou bien nerveuse permettant le passage de petites molécules ionisées entre l'intérieur et l'extérieur de la cellule. Le nRACh joue un rôle primordial dans la transmission neuromusculaire et neuronale. Plus précisément, ces toxines agissent en bloquant rapidement et de manière quasi-irréversible la fonction récepteur-canal des nRAChs. Cette inhibition engendre alors des dysfonctionnements musculaires et/ou cérébraux, rappelant ceux observés dans certaines pathologies myopathiques ou atteintes cognitives.


L'AChBP, la protéine utilisée comme modèle de nRACh par les chercheurs, est formée de cinq sous-unités identiques
(ici de couleurs différentes). Celles-ci s'assemblent en un anneau, vu du dessus (à gauche) et vu de coté
en regardant les sous-unités bleue et jaune (au milieu). Le neurotransmetteur s'insère aux interfaces entre les sous-unités.
C'est aussi là que chaque phycotoxine, dont l'une est montrée agrandie à droite,
se fixe pour bloquer la fonction récepteur-canal du nRACh.


Allant plus loin, les scientifiques ont caractérisé le mode de fixation des deux phycotoxines au récepteur. Résolues par cristallographie aux rayons X, les structures 3D des complexes formés entre les phycotoxines et le récepteur révèlent que chaque toxine s'insère au cœur du site de fixation de l'acétylcholine, le neurotransmetteur (4) naturel de ce récepteur. C'est une position clé pour bloquer la fonction récepteur-canal des nRAChs. Particulièrement intéressant (5), le mode de fixation de ces toxines pourrait fournir de nouvelles idées pour développer des agents thérapeutiques originaux agissant sur les nRAChs.

Ces résultats obtenus in vitro expliquent la neurotoxicité de ces phycotoxines pour de nombreuses espèces animales. Mieux comprendre leur mode d'action est un premier pas vers la mise au point d'antidotes qui pourraient s'avérer une nécessité sanitaire et économique. Ainsi, ces travaux permettent d'espérer la conception de nouveaux tests fiables, sensibles, pratiques et peu coûteux, pour déceler la présence des phycotoxines dans les coquillages proposés aux consommateurs.

Notes:

(1) Trois unités du CNRS sont concernées: le Centre de recherche en neurobiologie - neurophysiologie de Marseille (CNRS/Universités Aix-Marseille 2 et 3), le laboratoire "Architecture et fonction des macromolécules biologiques" (CNRS/Universités Aix-Marseille 1 et 2) et le Laboratoire CNRS "Neurobiologie cellulaire et moléculaire".

(2) iBiTecS, Service d'Ingénierie moléculaire des protéines, Laboratoire de Toxicologie moléculaire, Direction des sciences du vivant du CEA.

(3) L'acétylcholine est le premier neurotransmetteur découvert. Cette molécule joue un rôle important aussi bien dans le système nerveux central où elle est impliquée dans la mémoire et l'apprentissage, que dans le système nerveux périphérique où elle contrôle le fonctionnement des muscles.

(4) Ce sont des composés chimiques libérés par les neurones et agissant sur d'autres neurones ou sur les muscles (ex: acétylcholine).

(5) Le mode de fixation de ces toxines est intéressant car il est différent de celui d'autres effecteurs des nRAChs.
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