La composition chimique des planètes du système solaire reste incertaine, y compris pour les éléments majeurs comme le magnésium ou le silicium, en dépit de leur importance dans la constitution des minéraux des parties profondes de la Terre. Des chercheurs du Laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (CNRS-INSU/Université de Toulouse/IRD), de l'Université de Chicago (USA), de Nagoya et de l'Institut de Technologie de Chiba (Japon) ont pu reconstituer les abondances relatives de ces deux éléments plus précisément que ce qui avait été fait jusqu'ici, grâce à l'analyse précise de la composition isotopique en silicium d'une classe rare de météorites, les angrites. Cette étude, publiée dans la revue
Earth and Planetary Science Letters, remet également en cause l'interprétation des différences de compositions isotopiques de silicium planétaires qui étaient considérées jusqu'ici comme témoignant de l'incorporation de proportions importantes de cet élément dans le noyau terrestre.
Vue d'artiste d'un disque d'accrétion protoplanétaire qui aurait été, au début de l'histoire du système solaire, le siège de la condensation des matériaux constitutifs de la Terre et des autres planètes. (Image NASA/JPL-Caltech)
La détermination de la composition chimique globale de la Terre est l'une des questions clef qui occupe depuis longtemps les géochimistes. Elle est difficile à résoudre car la grande majorité des matériaux qui forment notre planète ne peuvent pas être directement échantillonnés au delà de 30 km de profondeur. A côté de la sismologie et de la géodésie, la géochimie isotopique est l'un des moyens d'évaluer indirectement la composition du manteau profond et du noyau de la Terre, et ainsi de proposer une estimation la composition globale de notre planète.
Les mesures sismologiques ont montré au XXième siècle que le noyau de la Terre ne pouvait pas être composé uniquement de fer et de nickel et que des éléments plus légers devaient en faire partie. Le développement récent de la géochimie isotopique des éléments majeurs constituant la Terre profonde, comme le fer et le silicium, ont permis de progresser sur cette question depuis une dizaine d'années. En comparant la composition isotopique du silicium de la Terre à celles des autres planètes telluriques du système solaire, notamment la Lune, il était admis jusque là que la composition isotopique plus lourde de la Terre (de l'ordre de 0.20/00 pour le rapport Si/Si) pouvait s'expliquer par la présence significative (de l'ordre de 10%) de silicium dans le noyau de notre planète.
Dans cet article, les auteurs révèlent qu'une classe de météorites, appelées angrites, présentent une composition isotopique du silicium plus lourde que celle du manteau terrestre (de presque 0.10/00 pour le rapport Si/Si). Une composition isotopique aussi lourde n'avait été obtenue sur aucun autre astéroide ou planète du système solaire jusqu'ici. Les faibles pressions qui ont régné à l'intérieur du corps parent des angrites, relativement à celles de la Terre, ainsi que des conditions beaucoup plus oxydantes, n'ont pas permis à des quantités notables de silicium d'incorporer le noyau métallique depuis le manteau silicaté de cet astéroïde. Par voie de conséquence, l'hypothèse du silicium incorporé dans le noyau terrestre basé sur les compositions isotopiques du silicium doit être réexaminé.
La clé de l'énigme est à chercher dans la séquence de condensation des solides qui s'est produite autour du soleil jeune lors du refroidissement de la nébuleuse protoplanétaire, et à partir desquels les planètes se sont formées ultérieurement par accrétion.
Plus précisément, les auteurs montrent le rôle important joué par la condensation de la forstérite, une olivine riche en magnésium, similaire à celle que l'on trouve dans le manteau terrestre. Le fractionnement isotopique entre le gaz SiO et la forsterite à 1370 K dans la nébuleuse solaire peut avoir produit les variations isotopiques du silicium et les rapports Mg/Si observés. Cette étude permet d'abaisser notre estimation de la composition en silicium du noyau de la Terre à 3,6% en poids, au lieu de 10%, et surtout d'évaluer plus précisément les abondances relatives en Mg et Si des planètes et astéroïdes du système solaire que ce qui avait pu être fait jusqu'ici. Cette nouvelle connaissance permettra également de déterminer avec plus de finesse la minéralogie des parties profondes et inaccessibles de la Terre et ainsi de mieux expliquer son mode de formation et ses propriétés géophysiques actuelles.
Pour plus d'information voir:
Dauphas, N., Poitrasson, F., Burkhardt, C., Kobayashi, H. and Kurosawa, K. (2015) Planetary and meteoritic Mg/Si and delta Si-30 variations inherited from solar nebula chemistry. Earth Planet. Sci. Lett. 427, 236-248, le 1er Octobre 2015