Michel - Vendredi 7 Mai 2010

Le champ magnétique terrestre dans le noyau liquide se précise

Si le champ magnétique terrestre est bien connu à la surface de notre planète, la détermination de son intensité et de sa structure à l'intérieur du noyau liquide, qui en est à l'origine, demeure encore un objectif à atteindre. En utilisant pour la première fois dans ce domaine une méthode par assimilation d'observations, une équipe de chercheurs du Laboratoire de géophysique interne et tectonophysique (LGIT) de Grenoble (INSU-CNRS/Université Joseph Fourier/OSUG) et de l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP, INSU-CNRS/Paris Diderot) révèle l'existence d'une onde de torsion rapide (4 ans) dans le noyau liquide. Ces chercheurs en déduisent que l'intensité du champ y est de quelques milliteslas (mT). Une étude publiée dans la revue Nature du 6 mai 2010.


Première représentation schématique du noyau terrestre.
L'enveloppe externe est le manteau représenté en bleu là où le champ magnétique est sortant,
et en rouge là ou il est rentrant.
La cavité intérieur représente le noyau liquide (vert-rouge) avec au centre la graine solide (violet).
Le cylindre blanc représente un type de mouvement devant exister dans le noyau liquide.
© IPGP (INSU-CNRS), A. Fournier


Seconde représentation schématique du noyau terrestre.
Le manteau est toujours représenté avec la même convention (bleu là où les champ global est sortant,
rouge là où il est entrant. Seul le noyau liquide est représenté avec des cylindres emboités.
Le mouvement de rotation différentiel des cylindres alignés avec l'axe de rotation (en blanc) cisaille le champ magnétique
dans la cavité fluide et se propage comme une onde de torsion.
© IPGP (INSU-CNRS), A. Fournier


Les mesures du champ magnétique terrestre sont collectées depuis la seconde moitié du XIXe siècle dans les observatoires magnétiques et par des magnétomètres embarqués à bord des satellites en orbite basse et en continu depuis 1999. Ces observations permettent de reconstruire le champ magnétique et d'estimer son intensité (de l'ordre de 0,3 mT) à la surface du noyau terrestre, à 2900 km de profondeur. Cependant, nous n'avons pas d'accès direct au champ magnétique régnant au coeur du noyau liquide conducteur d'électricité, région où il est créé et entretenu par la circulation de fluide métallique à haute température, selon le processus appelé géodynamo.

Pour estimer l'intensité moyenne du champ magnétique terrestre dans le noyau, dont la valeur est d'importance, en particulier pour déterminer le bilan énergétique de la Terre et son histoire thermique, les géophysiciens empruntent des chemins détournés. L'un d'eux est la simulation numérique directe. Depuis 1995, une grande variété de modèles de la dynamo terrestre ont été calculés. Leur analyse suggère que le champ interne au noyau est environ 10 fois plus intense que le champ estimé à sa surface grâce aux mesures décrites plus haut.

Un autre chemin, qui repose sur les observations des variations de la longueur du jour et sur les mesures géomagnétiques, a conduit à une estimation bien plus faible, de l'ordre de 0,2 mT. En effet, un signal magnétique de période 60 à 80 ans a été détecté dans des séries d'observatoire longues de 150 ans. Ce signal fût longtemps associé à la signature d'ondes de torsion (1) se propageant dans le noyau. Cette période impliquerait un champ interne de l'ordre de 0,2 mT, c'est-à-dire d'intensité plus faible que celle du champ à la surface du noyau.


Les ondes géostrophiques qui traversent le noyau liquide présentent une périodicité de 6 ans.
Sur la figure du haut, en vert les observations LUNAR97, en noir la prédiction avec un modèle avant assimilation,
et en rouge la prédiction après assimilation. En bas, une représentation en carte du modèle sans assimilation.
© N.Gillet et al. Nature 2010


L'étude publiée dans Nature réconcilie l'analyse des modèles numériques avec celle des données géophysiques. Ses auteurs ont développé une approche de type assimilation de données (2), utilisée pour la première fois dans ce domaine, similaire à celles mises en place en météorologie ou en océanographie physique, c'est-à-dire qu'ils ont reconstruit les écoulements dans le noyau en mêlant observations magnétiques et équations de la physique. Ils mettent ainsi en évidence une onde de torsion de période 6 ans. Le moment cinétique que porte cette onde explique un autre signal de même période qui avait été détecté précédemment, et de manière totalement indépendante, dans les séries temporelles de longueur du jour.


Les ondes de torsion d'Alfvens, issues du processus d'assimilation,
rendent compte de la périodicité de 6 ans révélées indépendamment.
© N.Gillet et al. Nature 2010


L'Intensité du champ magnétique à l'intérieur du noyau liquide dépasse 2 à 3mT.
Les différentes courbes correspondent à l'utilisation de différents paramètres.
© N.Gillet et al. Nature 2010

Les ondes mises en évidence par les auteurs voyagent du bord de la graine solide (de rayon 1220 km) jusqu'à l'équateur du noyau (de rayon 3480 km) en environ 4 ans. Ce temps de trajet leur permet d'estimer l'intensité du champ magnétique dans le noyau liquide à quelques mT, ce qui est en bon accord avec les prédictions basées sur les simulations numériques de la géodynamo.

Ces ondes ne représentent qu'une partie de la dynamique du noyau terrestre. Il reste maintenant à comprendre l'origine des signaux magnétiques et de longueur du jour à plus longue période. Nous sommes aux prémices de modèles dynamiques complets pouvant expliquer les variations décennales à centennales du champ magnétique.


Pour en savoir plus

(1) Ondes de torsion

Les ondes de torsion, décrites analytiquement par le géophysicien russe Braginsky dès 1970, constituent une classe particulière des ondes magnéto-hydrodynamiques étudiées par l'astrophysicien suédois Alfvén en 1942. Elles se propagent en présence d'un champ magnétique et impliquent à la fois une perturbation du champ magnétique et du champ de vitesse. Leur vitesse de propagation est d'autant plus grande que le champ magnétique qui les supporte est intense. Dans le noyau terrestre, la force de rotation dicte la géométrie des mouvements susceptibles de produire des ondes d'Alfvèn. Ces mouvements dits géostrophiques sont organisés en cylindres rigides centrés sur l'axe de rotation. Il peut y avoir propagation d'ondes car les cylindres géostrophiques sont liés entre eux par la tension du champ magnétique: perturber un cylindre entraîne le mouvement de ses voisins et, de proche en proche, l'onde se propage soit en direction de l'axe de rotation, soit vers l'équateur du noyau.

(2) Assimilation de données

Les auteurs ont utilisé le modèle magnétique de Jackson et collègues (2000) pour reconstituer les écoulements dans le noyau terrestre, au sein desquels ils ont détecté une onde de période 6 ans. Depuis 1999, grâce à plusieurs satellites en orbite basse (Oersted, Champ), on dispose d'une description beaucoup plus détaillée du champ magnétique. On espère gagner encore en précision grâce au lancement en 2011 ou 2012 d'une constellation de trois satellites par l'agence spatiale européenne ESA (mission Swarm soutenue par le CNES). L'approche par assimilation de données géomagnétiques devrait permettre de tirer pleinement profit de ces nouvelles mesures pour mieux décrire la physique du noyau terrestre au cours des derniers siècles.
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