Rouage essentiel de nos économies numérisées et du développement des nouvelles technologies, les semi-conducteurs et leurs méthodes de fabrication sont au cœur d'une bataille stratégique mondiale.
Une équipe du laboratoire Lasers, plasmas et procédés photoniques a développé une technologie d'écriture laser tridimensionnelle à l'intérieur des puces de silicium. Publiée dans
Nature Communications, leur approche exploite des microplasmas pour atteindre une résolution sans précédent et pourrait transformer la conception des circuits intégrés.
Tour Eiffel en 3D gravée sous la surface d'une plaquette de silicium avec une précision uniquement accessible par gravure plasma. Les observations sont réalisées par microscopie infrarouge à transmission latérale et à champ sombre (vue de dessus). La structure est conçue à partir de voxels gravés, séparés de 2 µm. Échelle: 20 µm.
© Wang, A., Das, A., Fedorov, V.Y. et al.
L'écriture laser tridimensionnelle par impulsions ultracourtes a déjà transformé de nombreuses technologies de fabrication comme la microélectronique, ou la photonique quantique. Elle permet de structurer l'intérieur de matériaux transparents comme le verre pour créer des composants optiques miniaturisés et des microstructures précises sans dommages thermiques. Mais, cette technique demeure rarement utilisée pour la fabrication de semi-conducteurs comme le silicium, du fait de propriétés optiques contraignantes. Son indice de réfraction élevé et ses fortes non-linéarités empêchent de localiser suffisamment l'énergie lumineuse pour écrire avec précision.
L'équipe d'Andong Wang et David Grojo, du laboratoire Lasers, plasmas et procédés photoniques (
LP3, Aix-Marseille Université/CNRS), a développé une solution inspirée de l'optique des plasmas. Le concept repose sur une double ionisation synchronisée. La première impulsion, d'une femtoseconde, dans le silicium permet de générer le microplasma (pré-ionisation). La seconde impulsion, plus lente, dépose ensuite l'énergie nécessaire à la modification du matériau. Le microplasma agit comme un guide en concentrant le dépôt d'énergie sur son front d'onde. Pour valider leur approche, les scientifiques sont parvenus à "écrire" une tour Eiffel de moins de 200 micromètres à quelques micromètres sous la surface d'une plaquette de silicium.
Les travaux ont montré une résolution très pertinente de cette technique, mais aussi la présence, dans les zones modifiées, de domaines amorphes de silicium. Cette amorphisation locale, longtemps recherchée par le secteur, permet d'envisager l'ingénierie d'indice de réfraction pour la photonique intégrée (pour contrôler la propagation de la lumière). Par ailleurs cette recherche a aussi démontré la réversibilité du processus. Les modifications apportées sur les matériaux peuvent être effacées localement par une nouvelle irradiation laser, et ce jusqu'à plus de 100 cycles d'écriture et d'effacement sur un même support. Cette capacité a permis de créer des codes QR à l'intérieur de plaquettes de silicium, écrits, effacés puis réécrits au même endroit. Parmi les applications potentielles: le marquage infalsifiable et la traçabilité dans l'industrie des semi-conducteurs.
La fabrication de dispositifs reconfigurables constitue un objectif de longue date pour la photonique quantique. La technologie développée par l'équipe du LP3 offre une alternative aux solutions actuelles basées sur la stimulation thermique ou électromécanique. Elle pourrait également s'étendre à d'autres matériaux semi-conducteurs que le silicium. Les chercheurs ont breveté leur approche et envisagent de transformer la manière dont sont conçus les circuits intégrés. Un enjeu stratégique dans un marché mondial évalué à plus de 600 milliards de dollars en 2024, et encore largement sous domination asiatique.