Michel - Lundi 23 Avril 2007

La calotte antarctique, un puits mais aussi une source de polluants !

Longtemps considérée comme un réceptacle inerte pour les polluants atmosphériques, la calotte antarctique peut en fait réémettre dans l'atmosphère, au niveau du Pôle, les oxydes d'azote séquestrés en son sein. Mais cette source est-elle importante ? Une équipe du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement (LGGE), en collaboration avec des chercheurs américains de Princeton et de l'Université de Californie, suggère un phénomène de grande ampleur. Les régions centrales de l'Antarctique seraient une véritable source de pollution pour tout le continent !


Station côtière française de Dumont d'Urville en Antarctique

À l'instar de toute étendue neigeuse, le plateau Antarctique a longtemps été considéré comme un puits sans fond pour les polluants atmosphériques, qu'ils soient gazeux ou particulaires. Lors de la formation des précipitations neigeuses, ces polluants s'incorporent en effet aux cristaux de neige, lesquels sont ensuite rabattus au sol. Dans ces contrées froides, où la température est toujours inférieure à 0°C, ce mécanisme de 'lessivage' conduit à l'élimination des polluants de l'atmosphère et à leur stockage dans la glace. Jusqu'à une époque récente, ces étendues de glace étaient considérées comme des surfaces inertes chimiquement, servant donc uniquement de réceptacle. Or, ce modèle est aujourd'hui battu en brèche par l'accumulation d'observations contredisant cette vision idyllique des régions polaires.

Des chercheurs américains ont montré en 1998-1999 que, comme les pots d'échappement des voitures, le manteau neigeux des régions centrales du Groenland et de l'Antarctique (site de la station Pôle Sud) émet en été des oxydes d'azote (NOx), issus de la destruction par le rayonnement ultraviolet solaire du nitrate piégé dans la neige. Leurs concentrations au voisinage du Pôle Sud peuvent alors atteindre des niveaux proches de ceux mesurés dans les centres urbains. Restait à déterminer l'ampleur de ce phénomène pour l'ensemble du continent antarctique.


En collaboration avec des chercheurs de Princeton et de l'Université de Californie de San Diego aux États-Unis, des chercheurs du LGGE ont pour la première fois mesuré, durant toute une année sur le site de Dumont d'Urville, station côtière française de l'Antarctique, les concentrations ainsi que les compositions isotopiques en isotopes stables de l'oxygène (16O, 17O et 18O) et de l'azote (14N et 15N) du nitrate (NO3-) atmosphérique. La comparaison avec les compositions isotopiques du nitrate atmosphérique mesurées précédemment au Pôle Sud leur a alors permis de suivre le devenir de ce composé chimique. Leur conclusion est que les fortes concentrations en nitrate atmosphérique mesurées en été dans les régions côtières de l'Antarctique proviennent exclusivement de la réémission par la neige observée au centre du continent. Le nitrate présent dans la stratosphère (altitude > 11 km) située au-dessus du Pôle Sud sédimenterait en hiver et serait stocké temporairement dans la neige jusqu'au printemps. Avec le retour de l'ensoleillement, près de 90 % serait réémis dans l'atmosphère sous forme d'oxydes d'azote. Ceux-ci seraient alors transportés jusqu'à la côte, par les vents catabatiques (1) qui dévalent les pentes du continent, où ils se retrouveraient pour partie sous la forme de nitrate, suite à une oxydation progressive des oxydes d'azote.


Installation permettant la collecte des particules de l'air
sur le site de Dumont d'Urville en Antarctique

Cette étude démontre que loin de constituer un réceptacle permanent à polluants, la calotte centrale de l'Antarctique est une source de pollution pour tout le continent. Mais que l'on ne s'y méprenne pas, l'air antarctique demeure d'une pureté sans égale sur Terre !

Ce résultat est d'importance. Il devra être pris en compte dans les modèles de chimie atmosphérique afin de les améliorer et d'affiner ainsi la compréhension des climats passés et les prévisions climatiques à long terme. Il est très probable que d'autres composés chimiques subissent le même sort, ce qui modifierait notre perception du rôle du manteau neigeux antarctique dans les équilibres chimiques précaires régnant dans ces contrées lointaines. Nul doute que les futures expériences de chimie atmosphérique (NITEDC, OPALE) planifiées à la station Concordia dans le cadre de l'année polaire internationale apporteront leur lot de nouvelles découvertes et de surprises.

(1) Les vents catabatiques (du grec cata qui signifie vers le bas) sont des vents de gravité qui se produisent en présence d'une stratification verticale de la température accompagnée d'une inversion thermique. Les couches d'air froid et dense situées près du sol se mettent alors à glisser le long des pentes. Ils sont particulièrement puissants et froids en Antarctique et au Groenland.

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