Nous poursuivons notre série sur la mission Planck avec le chapitre: Troisième pilier du Big Bang, le spectre de corps noir du rayonnement fossile
La découverte du rayonnement fossile
En 1964, Arno Penzias et Robert Wilson sont chargés par les laboratoires Bell de calibrer une antenne de télécommunication satellitaire, afin d'étudier le rayonnement radio du coeur de la Voie Lactée. Cependant, l'antenne captait un bruit quasiment constant, qui ne dépendait ni de l'heure, ni de la saison, ni de l'orientation de l'antenne. Les deux ingénieurs pensèrent qu'un couple de pigeon ayant fait leur nid dans l'antenne était la source des perturbations. Après les avoir chassés, le bruit était toujours présent. Pensant que l'origine était due à leurs déjections, ils entreprirent de nettoyer l'antenne, mais le bruit était toujours là. Après avoir exclu toutes les sources possibles, ils conclurent alors que l'origine de ce bruit était forcément cosmologique.
Les deux ingénieurs ne connaissaient pas les travaux des cosmologistes, et c'est presque par hasard que leur découverte est apprise par Dicke, Roll et Wilkinson, qui essayaient de mettre au point une expérience permettant de démontrer l'existence de ce rayonnement, prédit théoriquement par Gamow, dont la température a été calculée par Peebles (autour de 5 Kelvin).
Penzias et Wilson publièrent alors un article sur la détection de ce rayonnement à 3 Kelvin, et Dicke, Roll et Wilkinson publièrent de leur côté un autre article sur l'interprétation cosmologique de ce signal.
Représentation des différentes sphères cosmiques.
Illustration Abrams et Primack.
De nos jours il est admis que la source de ce signal est située sur une sphère centrée sur la Terre d'un rayon d'environ 45 milliards d'années lumière. Ce signal aurait été émis 380 000 ans après le Big Bang, lorsque la température du rayonnement a été trop basse pour pouvoir ioniser l'atome d'hydrogène, l'on dit alors que le rayonnement s'est découplé de la matière. Dorochkevitch et Novikov se basèrent sur le fait que le rayonnement était en équilibre thermodynamique avec la matière avant le découplage, et l'expansion a étiré le spectre. Ils en conclurent que le rayonnement fossile devait avoir un spectre de corps noir. Cependant pour expliquer l'existence des galaxies, le rayonnement ne doit pas être homogène, des grumeaux doivent forcément exister. C'est pourquoi les physiciens ont conçu un projet afin de mesurer ce rayonnement depuis l'espace.
Rayonnement du fond cosmologique.
Illustration COBE / FIRAS science team.
COBE (COsmologic Background Explorer)
Le satellite COBE a été lancé en 1989, placé à une altitude de 900 km, ce satellite devait cartographier le rayonnement fossile à plusieurs fréquences afin de vérifier si le spectre de ce rayonnement est celui d'un corps noir. L'autre objectif de la mission était de mettre en évidence ces inhomogénéités, que l'on suspecte être les embryons de la formation des grandes structures de l'Univers.
COBE était équipé des instruments suivants:
- DMR (Differential Microwave Radiometer). Etant donné qu'il fallait atteindre une précision de 1/100 000, et que les technologies de l'époque ne le permettait pas, George Smoot inventa le DMR afin de mesurer des différences de températures entre plusieurs régions du ciel. Cet appareil est constitué d'un ensemble de trois radiomètres différentiels effectuant des mesures sur des longueurs d'onde distinctes, 3,7 mm, 5,7 mm et 9,6 mm, ce qui correspond à des fréquences de 81, 52 et 31 GHz respectivement. L'observation dans 3 longueurs distinctes permet de s'affranchir des bruits d'avant plan (d'objets se trouvant entre la sonde et la zone d'émission, comme par exemple le rayonnement synchroton qui émet spécifiquement sur une seule fréquence). La corrélation entre ces 3 fréquences est précisément fournie par la loi de Planck.
- FIRAS (Far InfraRed Absolute Spectrometer) dont la fonction était de mesurer très précisément le spectre du fond diffus cosmologique en comparant celui-ci à un corps noir artificiel embarqué à bord du satellite,
- DIRBE (Diffuse InfraRed Background Experiment), dont la fonction était l'observation du ciel dans le domaine infrarouge, correspondant à des longueurs d'onde légèrement supérieures à celle du fond diffus cosmologique.
Fond cosmologique vu par COBE
Très rapidement en 1990, COBE confirme le spectre de corps noir du rayonnement fossile, précisant la température à 2.728 K. Après analyse des données, George Smoot a pu annoncer en 1992 la détection des anisotropies du rayonnement fossile (1/100 000).
La mission WMAP en 2003 (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe)
La sonde WMAP a été lancée en 2001 pour succéder à COBE, en direction du point de Lagrange L2. Ce point a l'avantage d'être en orbite de manière synchrone avec la Terre autour du Soleil, bénéficiant donc de l'ombre partielle de la terre (vu de ce point, la Terre est un peu plus petite que le Soleil). Bien que ce point est un point d'équilibre instable, il est possible de rester en rotation autour de ce point avec un effort tout à fait modeste via les orbites de Lissajous.
Les objectifs principaux de la mission WMAP sont de:
- cartographier les fluctuations de température du rayonnement fossile
- caractériser les paramètres du contenu énergétique de l'Univers
- mesurer la courbure de l'Univers
- tester les modèles inflationnistes
Pour cela, WMAP a un pouvoir de résolution de 13 minutes d'angle et pouvait mesurer la polarisation du rayonnement fossile ( notamment le mode E).
Fond cosmologique vu par WMAP
WMAP a permis d'obtenir ce cliché connu du public, améliorant ainsi la précision de COBE. Il est possible d'extraire une autre courbe appelée spectre de puissance du rayonnement fossile à partir des données de WMAP (diagramme suivant). Ce cliché est l'équivalent en traitement du signal d'une transformée de Fourrier. Dans une transformée de Fourrier, l'on décompose un signal en la contribution des fréquences composants ce signal. Dans le spectre de puissance, la décomposition est spatiale, l'on transforme un signal cartographié dans toutes les directions en la contribution des harmoniques dites sphériques, dont la première composante est purement sphérique, la seconde est dipolaire, la troisième quadripolaire, etc...
Spectre de puissance des fluctuations primordiales.
Illustration NASA.
Le signal obtenu montre donc un premier pic, montrant que les amplitudes d'oscillations augmentent lorsque le moment multipolaire augmente. Ceci revient à dire que lorsque l'on regarde l'image de loin l'on fait une moyenne, et que plus l'on regarde de près, et plus l'on voit de détails. La taille d'un grain correspond environ à 1° (moment multipolaire autour de 180). Cette donnée permet de caractériser la platitude de l'espace. En effet, ce rayonnement a été émis 380 000 ans après le Big Bang, ceci veut dire qu'une région de température homogène ne peut excéder cette taille. Entre temps le facteur d'échelle a été multiplié par 1100. Si la courbure de l'espace-temps était positive, nous verrions un pic à une résolution angulaire plus grande (le pic serait plutôt décalée à gauche, région des faibles "l"), et si la courbure de l'espace-temps était plus négative, alors ce pic serait à un endroit plus petit que 1° (pic décalé plus à droite, dans les grands "l").
Le deuxième pic permet de voir ce que l'on appelle les ondes acoustiques des baryons. La densité de baryon pilote la vitesse de propagation des ondes de pression. Le fait de trouver le pic avec une telle amplitude et une telle résolution angulaire permet de conclure que la matière baryonique représente environ 5% de la densité critique. L'allure du troisième pic permet de déterminer assez précisément la quantité de matière noire, à environ 24%. La somme totale devant faire 100% (puisque la courbure de l'espace est nulle), le reste est composé d'énergie sombre.
Après 9 ans d'observation et d'exploitation des données de WMAP, voici donc les données que l'on a pu en extraire:
Age: 13.772 ± 0.059 milliards d'années
Constante de Hubble: 69.32 ± 0.80 km·s?1·Mpc?1
Matière baryonique: 4.628 ± 0.093%
Matière noire: 24.02 ± 0.88%
Energie sombre: 71.35 ± 0.95%
Courbure: -0.0027 ± 0.0039
La courbe mesurée coïncide le mieux avec le modèle de concordance avec les paramètres ci-dessus. Ce modèle est donc le modèle standard Lambda CDM, Lambda pour la constante cosmologique (l'énergie sombre non nulle), CDM pour "Cold Dark Matter": la matière noire froide. Le modèle est complétée par une phase d'expansion exponentielle aussi brève que rapide: l'inflation, établie par Alan Guth au début des années 80. Ce modèle prédit des caractéristiques données par la courbe rouge bien étayée par les observations de WMAP.
Prochain article à venir sur notre série Planck: Questions restées sans réponse de la cosmologie standard.
Voir notre précédent article: Du Big Bang à la mission Planck: La nucléosynthèse primordiale
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