Michel - Vendredi 21 Avril 2006

L'antimatière pour propulser les futurs vaisseaux spatiaux de la NASA

La plupart des vaisseaux spatiaux des histoires de science-fiction utilise l'antimatière comme moyen de propulsion pour une bonne raison: c'est le combustible le plus efficace. Là où des tonnes de combustible chimique seraient nécessaires pour propulser une mission habitée vers Mars, seuls quelques dizaines de milligrammes d'antimatière suffiraient.


Ce à quoi un vaisseau spatial propulsé par un réacteur à positrons
pourrait ressembler (vue d'artiste)

Dans la réalité, cependant, cette puissance a un prix. Certaines réactions induites par l'utilisation de l'antimatière produisent des rayons gamma de haute énergie. Les rayons gamma pénètrent la matière et brisent les molécules des cellules vivantes. Ceux de grande énergie peuvent également rendre radioactifs les moteurs en fragmentant les atomes des matériaux dont ils sont constitués.

L'Institut des Concepts Avancés de la NASA (le NIAC) a constitué une équipe de chercheurs pour travailler sur une nouvelle conception de vaisseau spatial propulsé par l'antimatière qui permette d'éviter ces fâcheux effets secondaires en produisant des rayons gamma beaucoup moins énergétiques.


On surnomme parfois l'antimatière l'image miroir de la matière normale parce que, tout en lui ressemblant parfaitement, certaines de ses propriétés sont inversées. Par exemple, alors que les électrons normaux ont une charge électrique négative, les anti-électrons ont une charge positive, les scientifiques les appelant pour cela les "positrons". Quand l'antimatière rencontre la matière normale, les deux s'annihilent dans un violent flash d'énergie. C'est cette transformation totale en énergie qui rend l'antimatière si puissante. Même les plus fortes réactions nucléaires en sont très éloignées, avec seulement quelques trois pour cent de la masse des produits convertie en énergie.

Des conceptions antérieures d'un vaisseau spatial propulsé par antimatière utilisaient des antiprotons, qui produisent des rayons gamma de grande énergie quand ils s'annihilent. La nouvelle étude se base sur les positrons, qui génèrent des rayons gamma 400 fois moins énergétiques.

L'étude actuelle du NIAC est une analyse préliminaire des possibilités de concrétisation du concept. Si sa réalisation apparaît envisageable, et si des fonds sont disponibles pour développer avec succès la technologie, un vaisseau spatial propulsé par des positrons présenterait certains avantages par rapport aux projets existants pour une mission humaine vers Mars, appelée la "Mission de Référence Martienne".


Schéma de principe d'un réacteur à positrons.
Des positrons sont dirigés à partir de l'unité de stockage vers une grille d'atténuation,
où ils interagissent avec la matière et émettent de la chaleur.
L'hydrogène liquide (H2) circule à travers la grille et capte cette chaleur.
L'hydrogène s'écoule alors vers la sortie de la tuyère (la forme de cloche en jaune et bleu),
puis s'échappe dans l'espace, en produisant la poussée.


"L'avantage le plus significatif est l'accroissement de la sécurité" indique le Dr. Gerald Smith, de Positronics Research à Santa Fe au Nouveau-Mexique. La Mission de Référence nécessite un réacteur nucléaire pour propulser le vaisseau spatial jusqu'à Mars. La propulsion nucléaire raccourcit le temps du trajet, augmentant la sécurité pour l'équipage en réduisant son exposition aux rayons cosmiques. En outre, un vaisseau spatial à moteur chimique a une masse bien plus élevée et est bien plus coûteux au lancement. Enfin, le réacteur fournit une puissance suffisante pour une mission de trois ans. Mais les réacteurs nucléaires sont complexes, et beaucoup de choses pourraient éventuellement mal tourner durant la mission. "Le réacteur à positrons offre les mêmes avantages tout en restant relativement simple", remarque Smith.

De plus, les réacteurs nucléaires restent radioactifs même après avoir consommé tout leur combustible. Une fois le vaisseau spatial rendu sur place, la Mission de Référence prévoit de diriger le réacteur sur une orbite qui ne rencontrera pas la Terre pendant au moins un million d'années, quand le rayonnement résiduel sera réduit à des niveaux sûrs. En revanche, il n'y a aucun rayonnement supplémentaire dans un réacteur à positrons quand son combustible est épuisé, de telle sorte qu'il n'y aurait aucun problème particulier si celui-ci devait accidentellement rentrer dans l'atmosphère de la Terre, selon l'équipe des chercheurs.

Ce réacteur est également plus sûr au lancement. Si un lanceur portant un réacteur nucléaire devait exploser, des particules radioactives pourraient se disséminer dans l'atmosphère. "Le vaisseau spatial à positrons émettrait un flash de rayons gamma s'il explosait, mais ceux-ci s'évanouiraient en un instant. Aucune particule radioactive ne viendrait à dériver au vent. Le flash se produirait également dans une zone relativement petite. La zone dangereuse serait d'environ un kilomètre autour du vaisseau spatial. Une grande fusée standard propulsée chimiquement possède une zone dangereuse de taille à peu près identique, à cause de l'énorme boule de feu qui résulterait de son explosion", explique Smith.

Un autre avantage significatif est la vitesse. Le vaisseau spatial de la Mission de Référence emmènerait les astronautes sur Mars en à peu près 180 jours. "Nos concepts pourraient réduire ce temps de moitié voire au quart", indique Kirby Meyer, ingénieur chez Positronics Research .


Les moteurs avancés réalisent cela par la combustion à chaud, qui augmente leur rendement ou leur "impulsion spécifique" (Isp). L'Isp représente les "kilomètres au litre" des fusées: plus l'Isp est élevée, plus la distance parcourue est grande avant l'épuisement du carburant. Les meilleures fusées chimiques, comme le moteur principal de la navette spatiale, peuvent brûler pendant environ 450 secondes. Un réacteur nucléaire à positrons peut tenir plus de 900 secondes. Le moteur "ablatif", qui se vaporise lui-même lentement pour produire la poussée, pourrait tenir 5000 secondes.


Moteur ablatif à positrons (vue d'artiste).
De minuscules capsules entourées de plomb confinant les positrons sont tirées
dans le compartiment de la tuyère plusieurs fois par seconde.
Les positrons interagissent avec la capsule, et émettent des rayons gamma.
Le plomb les absorbe et rayonne des rayons X de basse énergie, qui vaporisent le matériau de la tuyère.
Le moteur produit une poussée matérialisée ici par un échappement blanc bleu.
Cette complexité est nécessaire car les rayons X sont absorbés plus efficacement
par le matériau de la tuyère que les rayons gamma.

Un des défis existants pour qu'un vaisseau spatial à positron devienne une réalité est le coût de production de ces derniers. En raison de son effet spectaculaire sur la matière normale, les particules d'antimatière sont évidemment très rares ! Dans l'espace, elles sont produites par des collisions à grande vitesse de particules (les rayons cosmiques). Sur Terre, elles doivent être produites dans des accélérateurs de particules, ces immenses machines qui fracassent les atomes les uns contre les autres et qui sont habituellement utilisées pour découvrir les secrets de l'univers à un niveau fondamental. Mais ces machines peuvent être envisagées comme des usines de production d'antimatière.


"Une évaluation grossière pour produire les 10 milligrammes de positrons requis pour une mission vers Mars est environ de 250 millions de dollars en utilisant des technologies actuellement en cours de développement", signale Smith. Ce coût peut sembler élevé, mais il faut considérer en regard le surcoût induit pour lancer une fusée chimique plus lourde (les coûts actuels de lancement sont d'environ 20.000 dollars par kg) ou le coût pour remplir de combustible et pour assurer la sécurité d'un réacteur nucléaire. "En se basant sur l'expérience de la technologie nucléaire, il semble raisonnable de s'attendre à ce que le coût de production des positrons diminue avec l'accroissement des recherches", ajoute le chercheur.

Un autre défi est le stockage des positrons dans un espace réduit. Comme ils annihilent la matière normale, on ne peut pas simplement "les mettre en bouteille". Au lieu de cela, ils doivent être confinés à l'aide de champs électriques et magnétiques. "Nous pensons avec confiance, que par un programme dédié de recherches et de développement, ces défis peuvent être surmontés", indique Smith.

S'il en est ainsi, il est possible que les premiers êtres humains qui atteindront Mars le fassent à bord de vaisseaux spatiaux propulsés par la même source d'énergie que celle des spationefs de science-fiction.

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