jyb - Lundi 24 Septembre 2012

Analyse: expérience OGM, décryptage du procédé expérimental

Depuis mercredi soir, une expérience sur du maïs OGM réalisée à l'université de Caen a fait la une de l'actualité, nous avons nous mêmes publié un premier article à ce sujet (lien). Cette annonce est particulièrement importante puisqu'il s'agit de la première fois qu'une expérience scientifique, menée dans un cadre universitaire, met en évidence les conséquences des OGM sur la santé de mammifères, particulièrement la formation de tumeurs. Cependant, une fois les premiers éléments de l'étude connus, plusieurs critiques ont été émises, notamment par d'autres chercheurs universitaires.


Ces tumeurs impressionnantes montrées à la presse ne sont pas propres aux rats nourris avec des OGM et/ou du Roundup


Au sujet des découvertes scientifiques


Pour commencer, il est important de rappeler qu'une découverte scientifique ne se décrète pas, mais passe par de multiples étapes pour être véritablement reconnue en tant que telle par la communauté scientifique. On a eu très récemment deux exemples de découvertes importantes.


La première est la découverte lors d'une expérience du CERN à Genève, d'un phénomène remettant en cause le modèle standard de la physique avec l'existence de particules pouvant aller plus vite que la lumière. La reproduction de l'expérience et la contre-expertise ont permis de voir que la découverte était due à une erreur dans les mesures.

La seconde est la découverte du Boson de Higgs, le fameux Graal de la Physique moderne, l'un des chercheurs s'exprimait: "Nous savons que ce doit être un boson (les bosons représentent une classe de particules qui possèdent des propriétés de symétries particulières lors de l'échange de particules: un système de particules identiques se comportant comme des bosons...) et qu'il s'agit du boson le plus lourd jamais observé, souligne le porte-parole de l'expérience CMS, Joe Incandela. Les conséquences sont considérables ; c'est précisément pour cette raison que nous devons être extrêmement rigoureux dans toutes nos études et vérifications." (voir lien). Cela en dit long sur l'extrême prudence des chercheurs à chaque découverte potentiellement révolutionnaire: l'erreur n'étant jamais impossible, seules des vérifications et confirmations rigoureuses permettent de valider la découverte.

En règle générale, pour être admise, une découverte scientifique passe par les étapes suivantes:
- mise en place d'un protocole expérimental, réalisation de l'expérience
- publication du protocole expérimental et du résultat obtenu
- vérification du protocole et des résultats par d'autres scientifiques, reproduction de l'expérience suivant le protocole de la découverte.

Seules les expériences dont les résultats sont reproductibles par différentes équipes sont alors considérées comme des découvertes. Si une expérience scientifique donne un résultat A, mais qu'il est impossible d'obtenir le même résultat en refaisant l'expérience, la découverte ne peut être considérée comme valide. Ce rappel permet de mieux présenter le contexte inhérent à tous travaux de recherche et permet mieux de présenter le contexte normal d'une expérience scientifique.

Le protocole expérimental:



Au début de toute expérience digne de ce nom, il y a un protocole expérimental. Dans le cas des OGM il comprend une population de 200 rats répartis en trois groupes:
- le premier groupe est composé de rats nourris avec du maïs non OGM mais traité avec un herbicide, le Roundup, soit la forme la plus classique de nourriture pour rat
- le second groupe est nourri avec du maïs OGM Monsanto NK603 non traité
- le troisième groupe est nourri avec du maïs OGM Monsanto NK603 traité avec le Roundup, il permet de voir si le Roundup a une incidence significative sur la santé des rats par comparaison avec le second groupe.

Les groupes sont eux mêmes divisés en plusieurs parties. Ceux absorbant du maïs OGM sont subdivisés en 4 sous-groupes, absorbant 4 quantités différentes d'OGM, de 0 à 33%. Le groupe ne mangeant pas d'OGM est composé de 10 mâles et de 10 femelles qui constituent les "témoins" de l'expérience, c'est à dire des rats mis dans les mêmes conditions que les rats testés avec Roundup et/ou OGM, mais nourris avec de la nourriture normale.

La souche de rats utilisée est la souche dite de Sprague-Dawley, une souche particulièrement propice au développement de tumeurs. Si ce choix a été décrié, il permet néanmoins deux choses:
- d'avoir des chiffres suffisamment importants pour être comparés
- de pouvoir observer plus facilement l'apparition de tumeurs.

Une importante caractéristique de l'expérience est la durée: 2 ans. Sachant que la durée de vie d'un rat est de 2 à 3 ans, ces rats auront donc suivi l'expérience durant pratiquement toute leur vie. Cette durée permet donc un très bon recul pour étudier l'influence de la nourriture (en l'occurrence le maïs OGM) sur la santé du rat sur le long terme. Transposée à l'homme, cette expérience dure plus de 60 ans !


Dernier élément, la confidentialité. Le sujet des OGM est particulièrement sensible, entre intérêts médicaux, industriels, financiers, politiques... Le risque de pression est très important. Afin d'éviter de subir de telles pressions, notamment de la part du lobby pro-OGM, l'expérience s'est déroulée dans le plus grand secret. Le maïs OGM a été commandé en une seule fois au Canada en 2007 avant d'être rapatrié en France pour être transformé en croquettes. Les mails échangés pour l'expérience étaient cryptés. Un luxe de précautions afin que l'expérience soit protégée de toute pression extérieure.

Résultats expérimentaux:


En plus d'étudier différentes maladies et dysfonctionnements médicaux, l'équipe de l'expérience a mesuré deux données principales:
- le nombre de décès par groupe (dans certains cas, il s'agit d'euthanasie en raison des souffrances subies par l'animal)
- le nombre de tumeurs malignes.

Au niveau du groupe "témoin", tous les sujets ne sont pas arrivés en bonne santé au bout de 23 mois, ce qui est très long pour un rat, 30% des femelles avaient un cancer. Les chiffres sont nettement plus alarmants du côté du groupe "test". 50 à 80% des femelles souffrent de tumeurs, elles étaient 25% au bout de seulement 13 mois. Le bilan n'est pas vraiment meilleur chez les mâles avec 2 à 3 fois plus de tumeurs côté OGM que côté sans OGM au bout de 13 mois. C'est du moins de cette manière que les résultats ont été présentés à la presse.

Conséquences possibles:


C'est la première fois qu'une telle expérience est menée. Jusqu'ici, les risques des OGM n'étaient que des hypothèses au fondement scientifique non réellement démontré. Le lobby anti-OGM se regroupait ainsi sous la bannière du principe de précaution, ce qui avait ses limites dans des pays où la charge de la preuve est à l'accusation et non à la défense. Cette expérience scientifique, publiée dans la revue Food and Chemical Toxicology, est donc la première démontrant la dangerosité d'un aliment OGM sur la santé d'un mammifère.


La première conséquence pourrait être un renforcement des tests et contrôles avant l'autorisation de cultures d'organismes génétiquement modifiés. Une autre conséquence pourrait être une remise en cause des autorisations existantes, au moins le temps de réaliser des tests plus longs voire un nouveau moratoire sur la culture des OGM. Il est à noter que le maïs utilisé pour le test n'est pas cultivé au sein de l'UE car non autorisé, un autre maïs OGM Monsanto est par contre autorisé: le MON 810. Il est possible que l'importation d'OGM ou d'aliments fabriqués à partir d'OGM soit aussi remise en cause.

Une étude critiquée:


Plusieurs objections ont été émises vis à vis de l'étude, notamment par des chercheurs universitaires. Bien évidemment, ces critiques ont provoqué des polémiques... Mais intéressons-nous au fond des remarques émises afin de voir ce qu'il en est vraiment.

Des échantillons très petits

Le principal problème pointé est la faible population de rats étudiés. Il faut dire qu'avec ces 200 rats, l'équipe de recherche a étudié un grand nombre d'hypothèses en mêlant différentes quantités d'OGM et différentes quantités de produits désherbants. Résultat, chaque groupe de rats est représenté par 10 individus. Tout résultat chiffré sur de si petites populations ne peut être considéré comme fiable d'un point de vue statistique. Avec une population de 100 individus, la marge d'erreur serait de l'ordre de 10%.

Le problème est d'autant plus critique pour le groupe témoin. Seuls 10 mâles et 10 femelles n'ont eu ni OGM, ni pesticide dans leur alimentation. De fait, le groupe témoin est bien trop faible pour servir de référence comparative à des données chiffrées.

Un choix de rats contesté

Le choix de rats de souche Sprague-Dawley, particulièrement sensible aux tumeurs a été aussi remarqué. Un tel choix signifie qu'il n'est pas possible d'accuser tel ou tel produit d'être à l'origine du développement des tumeurs puisque celles-ci se développement aussi sur des rats sains. Cependant, si l'objectif est de savoir si les produits incriminés favorisent le développement de tumeurs, il convient de prendre des espèces dont les résultats pourront être comparés. Imaginons qu'une expérience donne 1 tumeur d'un côté et 0 de l'autre sur une centaine de rats, comment conclure ? L'écart est trop faible. Si la même expérience donne 20 rats sur 100 d'un côté et 70 rats sur 100 d'un autre côté, l'analyse des chiffres sera plus probante.


Cependant, dans le cas présent, de précédentes recherches avaient démontré en 1973 que cette espèce particulière de rats pouvait être victime à 45% de cancers sans qu'il y ait d'apport particulier pour les provoquer (étude toujours consultable ici lien). De tels niveaux rendent la marge de comparaison entre population avec risques aggravés et population en condition normale très délicate.

Pas d'étude en double aveugle

Il s'agit d'une autre critique, mais avant tout qu'est-ce que le double aveugle ? Il s'agit de faire en sorte que les personnes qui sont en contact avec les rats et font les analyses factuelles ne savent pas quels rats sont avec ou sans OGM, avec ou sans herbicide. En général, les techniques de tests en double aveugle servent surtout à éviter toute partialité, y compris et surtout celles qui sont involontaires et donc difficilement maitrisables.

Cependant, nous ne savons pas si de telles contraintes d'expérimentation sont d'usage courant ou non pour ce type d'études. Cela pourrait être ajouté à de futurs protocoles d'expérimentation.

Eléments de contexte

Une annonce de résultats expérimentaux très médiatique

L'annonce des résultats a fait l'objet d'une campagne de diffusion auprès des grands médias, le tout assorti d'un embargo jusqu'à une date et une heure donnée, une pratique utilisée jusqu'ici pour des campagnes marketing. On est ici très loin de ce qui se pratique généralement dans les milieux de la recherche.

De la même manière, la publication du résultat de cette expérience s'accompagne de la sortie d'un livre à la couverture choc pour le grand public "Tous Cobaye !" et d'un documentaire choc, tourné durant l'expérience.

A ces éléments s'ajoute la personnalité de Gilles-Eric Séralini qui a dirigé les recherches et qui s'est déjà fait connaitre pour des prises de position pour le moins tranchées au sujet des OGM. Le risque est bien entendu un mélange des genres entre militantisme, marketing et démarche scientifique propre à troubler un débat qui concerne à la fois la santé publique et la sauvegarde de l'environnement.

Tentative de se soustraire aux objections des scientifiques ?


C'est ici le point le plus sensible. Pour commencer, le procédé utilisé pour rendre publique l'expérience, notamment l'embargo, a permis à l'étude d'être publiée dans la presse avant même que d'autres spécialistes aient pu prendre connaissance du contenu scientifique, limitant ainsi tout avis divergeant durant les premières heures de médiatisation.

De même, Séralini dit refuser que son étude soit contre-expertisée par certains spécialistes du domaine, notamment ceux de l'Anses et de l'AESA, au motif que ces derniers ne seraient pas indépendants. Cela va à l'encontre des usages habituels en recherche, surtout lors de la publication des travaux.

Une étude vraiment indépendante ?

C'est l'un des arguments utilisés par ceux qui ont participé à cette étude. Mais cette indépendance n'est pas si complète. Hormis le parti pris de départ, la source de financement peut poser problème. L'étude a été en partie financée par le CERES qui rassemble nombre d'entreprises dont des géants de la distribution et dont certains fondent leur stratégie sur le "sans OGM". Imaginez un instant qu'une étude universitaire concluant à l'innocuité d'OGM ait été financée par un organisme regroupant Monsanto et BASF, deux des leaders des OGM.

Qu'en conclure ?


La démarche expérimentale est décrite et ne demande donc qu'à être reproduite par d'autres chercheurs dans d'autres contextes. C'est justement là le but premier d'une publication scientifique: donner aux autres la possibilité de reproduire une expérimentation afin de confirmer, infirmer ou compléter les résultats obtenus.

Cette expérience apporte plusieurs questions intéressantes:
- Quid de la durée des expériences et contrôles menés sur les OGM ?
- Quid du financement de telles expériences ?

Cependant, certaines lacunes devront être corrigées dans les futures expériences à commencer par la répartition de la population des rats contrôlés. L'équipe qui a procédé à cette expérience a probablement voulu trop en faire avec trop peu d'individus. Ainsi, un protocole simplifié se contentant de tester par exemple "avec ou sans OGM" sur 200 rats pourrait être plus pertinents. Il en est de même avec le choix de la souche de rats utilisée.

En cela, une expérience qui prendrait en compte les conseils de spécialistes en cancérologie et en statistiques pourrait être un plus et améliorerait la qualité des données recueillies ainsi que leurs analyses.
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