Les acides aminés D-sérine et glycine jouent un rôle essentiel dans la communication entre les neurones du cerveau en régulant l'activité d'un récepteur particulier du glutamate, le récepteur NMDA. Toutefois, les neurobiologistes ignoraient si les fonctions de ces deux acides aminés étaient régulées au cours du développement cérébral et elles étaient spécifiques d'un territoire neuronal particulier. L'équipe de Jean-Pierre Mothet et ses collaborateurs démontrent que la D-sérine et la glycine agissent à des stades différents de la maturation des réseaux de neurones et qu'à l'âge adulte leur fonction est associée spécifiquement à des synapses différentes. Ces travaux revêtent une importance particulière car ils mettent fin à une controverse de plus de 20 ans en réconciliant les fonctions de ces deux acides aminés. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives pour notre compréhension des maladies neuro-développementales comme la schizophrénie ou l'autisme et pourrait déboucher sur la mise au point de nouvelles stratégies thérapeutiques. Cette étude est publiée la revue
Proceedings of the National Academy of Sciences.
Figure: Evolution de l'identité du co-agoniste préférentiel des récepteurs NMDA au cours de la maturation de la synapse tripartite dans deux territoires distincts de l'hippocampe. Au niveau du champ CA1 (gauche), la mise en place d'un dialogue étroit neurone-astrocyte assurant une élimination efficace de la glycine et la fourniture du précurseur L-sérine entraîne un remplacement progressif du rôle prépondérant initial de la glycine par celui de la D-sérine à l'âge adulte. Cette substitution identitaire est illustrée par la réduction progressive de sensibilité de l'activation des récepteurs NMDA par la BsGO enzyme qui élimine la glycine et à une augmentation en miroir de la sensibilité à la RgDAAO qui dégrade la D-sérine. Le remplacement de l'identité du co-agoniste principal s'accompagne d'une modification de la constitution moléculaire des récepteurs NMDA postsynatiques (GluN2B --> GluN2A). Au niveau du gyrus denté (droite), le rôle de la glycine reste prépondérant jusqu'à la maturation finale de la synapse illustrée par une sensibilité conservée à un traitement par la BsGO malgré une influence croissante de la D-sérine. En parallèle une contribution majeure des sous-unités GluN2B est conservée au stade adulte. Ces résultats indiquent une activation différentielle du dialogue neurone-astrocyte suivant le territoire hippocampique considéré qui détermine l'identité du co-agoniste préférentiel des récepteurs NMDA. SC, Schaeffer collaterals; DG, dentate gyrus; Ctrl, condition contrôle; SR, sérine racémase.
© Jean-Pierre Mothet et Jean-Marie Billard
Le fonctionnement normal de notre cerveau repose sur la dynamique des synapses chimiques dont la régulation fine dépend de l'interaction entre les neurotransmetteurs et leurs récepteurs. Le glutamate est responsable de la transmission excitatrice rapide en agissant sur des récepteurs-canaux et notamment sur les récepteurs NMDA (rNMDA) dont l'activation est requise pour la structuration des contacts synaptiques opérant au cours du développement mais également pour différents processus cognitifs comme l'apprentissage et la mémoire. A l'inverse, des dysfonctionnements des rNMDA sont impliqués dans de nombreuses maladies neurologiques et psychiatriques mais aussi responsables des déficits cognitifs associés à la sénescence cérébrale.
Compte tenu du rôle central des rNMDA dans la mise en place et le fonctionnement des réseaux cérébraux, une régulation fine de leur activité est indispensable, et il n'est donc pas étonnant que ces récepteurs soient équipés de nombreux sites de modulation. C'est le cas notamment du site dit "glycine" qui lie la D-sérine ou la glycine, deux acides aminés dont la présence est indispensable au bon fonctionnement des rNMDA. Après plus de vingt ans d'études, la contribution relative des ces deux co-agonistes potentiels demeure toujours un mystère. Les neurobiologistes ignorent si l'identité du co-agoniste varie d'une synapse à l'autre et si elle serait modifiée au cours du développement postnatal qui se caractérise par des changements importants dans la composition moléculaire des récepteurs, notamment le remplacement progressif des sous-unités GluN2B par celles de type GluN2A. Ce phénomène qui dépend de l'expérience sensoriel et de l'apprentissage, a été découvert il y a une vingtaine d'année mais la possibilité qu'il soit associé et/ou dépendant d'un changement de l'identité préférentielle du co-agoniste n'a jamais été envisagée.
L'équipe de Jean-Pierre Mothet et ses collaborateurs ont élucidé le rôle respectif de la D-sérine et de la glycine dans la régulation des rNMDA de l'hippocampe, une structure clé impliquée dans les mécanismes de mémoire lors de la maturation de deux synapses excitatrices, celles contactant les collatérales de Schaeffer et les dendrites des neurones pyramidaux du champ CA1 (CS-CA1) d'une part et celles associant les afférences de la voie perforante médiane et les neurones de la couche moléculaire du gyrus denté (VPm-GD).
Dans le premier cas, les chercheurs dévoilent un changement dans l'identité du co-agoniste majeur (de la glycine à la D-sérine) au cours de la maturation de la synapse CS-CA1, qui coïncide parfaitement avec la modification de la composition des sous-unités des rNMDA (de GluN2B à GluN2A). Au niveau de la synapse VPm-GD, où ces changements moléculaires des rNMDAs ne sont pas aussi prononcés, la glycine demeure le co-agoniste principal jusqu'à et au-delà de la maturation complète de la connexion. Ils montrent également qu'à l'âge adulte, les rNMDA gouvernant la fonctionnalité de ces deux synapses majeures de l'hippocampe et qui ont une composition moléculaire différente, utilisent des co-agonistes endogènes distincts.
Enfin, les chercheurs apportent des preuves expérimentales indiquant que ce changement dans la nature du co-agoniste des rNMDA intervient lors de la maturation structurelle et fonctionnelle de la synapse tripartite associant neurones et astrocytes, et notamment de la capacité de recapture de la glycine par ce type de cellules gliales.
Ces travaux ont une portée très générale non seulement pour l'étude des mécanismes intimes régulant la fonction des rNMDA dans le cerveau sain mais aussi pour notre compréhension des nombreuses maladies neurologiques et psychiatriques ayant une origine neuro-développementale comme l'autisme ou la schizophrénie, et pour lesquelles les rNMDAs sont désormais des cibles thérapeutiques de premiers choix.